Section Paris 14ème

Section Paris 14ème
Accueil
 
 
 
 

Sauvons la dernière ferme de Paris - Rencontre avec Thomas Dufresne

Afin de permettre à chacun-e de mieux comprendre les enjeux du combat pour la préservation de la dernière ferme de Paris située au 26, rue de la Tombe-Issoire, le PCF Paris 14 a rencontré Thomas Dufresne, président du Collectif de Port-Mahon et de la Ferme Montsouris.     PCF: Pouvez-vous décrire la ferme de Montsouris et les carrières de Port-Mahon ?   Thomas DUFRESNE: On l'a oublié, mais dans Paris il y avait beaucoup de fermes qui proposaient aux citadins des oeufs et du lait frais. Au 19e siècle, c'est plus de 500 fermes qui étaient ainsi en activité dans la capitale ! Et de toutes celles-ci, il n'en reste plus qu'une : la ferme de Montsouris qui produisait encore du lait dans les années 40. Elle est la dernière chance que nous ayons de conserver une page étonnante de notre histoire. La ferme de Montsouris a encore son porche, au 26, rue de la Tombe-Issoire. Alors qu'à Paris les portes sont cochères (pour qu'entrent les coches, les voitures à chevaux), celle-ci est une porte charretière. L'immeuble de rapport sur rue, qui appartenait également au fermier, lui permettait de compenser les aléas de l'exploitation agricole. Derrière ce porche s'étend toujours la grande cour de ferme, avec à droite la petite maison des vachers. Hélas, en mai dernier, l'Hôtel de Ville a donné un permis de démolir au promoteur, pour qu'il détruise cette maison des vachers. Dans les années 50, il y avait un autre bâtiment, la laiterie qui hélas a été détruit. Le promoteur a affiché un grand panneau sur le site, où il prend prétexte de cette démolition, pour affirmer, sans rire, qu'il n'y a plus de ferme ! Au fond de la cour, contre la ligne B du RER, on l'aperçoit d'ailleurs de l'avenue René Coty, se trouve toujours l'étable, surmontée de son fenil (grange à foin). Chaque bois de sa charpente, comme d'ailleurs chaque bois de la charpente de l'immeuble sur rue, est marqué des signes des Compagnons. Ce sont probablement ces Compagnons qui ont construit la ferme tout entière et l'immeuble sur rue du n°26. La toiture est en petites tuiles plates artisanales. Hélas, le promoteur a obtenu une autorisation de détruire cette toiture ancienne pour la remplacer par une couverture moderne. Cette étable est particulièrement vaste, c'était l'une des plus grandes fermes de la capitale. Le terrain recèle encore bien des surprises... Du côté de la villa Saint-Jacques se dresse le pavillon dit Troubadour, qui appartenait à un gabelou (une personne qui travaillait à l'octroi aux portes de Paris). Des sculptures d'amoureux s'y épient sur la façade, on peut imaginer qu'ils se chuchotent quelques confidences galantes. Sur ces 2 500 m² de terrain, à 3 minutes à pied de la gare RER de Denfert-Rochereau, situation qui, on s'en doute, excite l'appétit du promoteur, se trouve encore trois petites maisons, typiques de nos anciens faubourgs. La ferme possède un étonnant cellier voûté, on s'y croirait à la campagne, loin de Paris. Un autre cellier, bien plus ancien, dort dans le sous-sol. Hélas, il peut être détruit à tout moment par le promoteur, puisque trois permis de démolir, en tout, viennent de lui être octroyés en mai. Dans la cour de ferme passe également l'aqueduc Gallo-Romain de Lutèce, celui qui alimentait en eau les thermes de Cluny. Lorsque le site était encore ouvert, certains ont récolté des tessons qui affleuraient au sol. Nous les avons montré à des amis historiens qui les ont daté des 15e et 16e siècles. Dorment donc dans la cour probablement bien d'autres richesses archéologiques. Tout cela suffirait à ce que l'on préserve ce site et que l'on refuse l'opération immobilière. Et pourtant, un autre monument est encore caché dans le sous-sol : la carrière du chemin de Port-Mahon. C'est la seule carrière intacte et datant du moyen âge, qui subsiste à Paris. Et elle est classée au titre des monuments historiques, ce qui devrait empêcher toute opération immobilière dedans, si les lois étaient respectées. Cette carrière souterraine se déploie sur deux étages de galeries. Ici, on venait chercher la pierre à bâtir qui a permis de construire Paris. Cette carrière appartenait aux Hospitaliers de Saint-Jean. PCF: Selon vous, que faudrait-il faire de cette ferme et de ces carrières aujourd’hui ? Comment les valoriser au mieux ?   TD: Au-dessus, c'est la dernière ferme qui subsiste à Paris et au-dessous, la dernière carrière intacte du moyen âge. S'il y en avait plusieurs, on pourrait accepter que l'une soit détruite et que soit conservée l'autre. Mais là, ce sont des sites uniques. Il serait donc souhaitable de préserver l'ensemble de ce site. Avec un simple ticket de métro, petits et grands pourraient visiter une ancienne ferme à Paris. On pourrait y montrer par exemple comment poussent nos légumes et nos fruits, comment on confectionne du beurre avec une baratte traditionnelle, comment on fait du pain et bien d'autres choses encore... Donnant sur la rue, il y a trois anciennes boutiques où nos artisans et nos producteurs d'Ile-de-France pourraient présenter leurs produits à tour de rôle. La cour elle même, très vaste, pourrait servir pour des forums associatifs, des marchés, des expositions, des spectacles en plein air, des fêtes, des bals... D'ailleurs, nous y avions organisé de telles manifestations dans les années 2000, elles avaient eut beaucoup de succès auprès de la population. Nous nous souvenons notamment d'une fête médiévale dont les habitants nous parlent encore. Cette rue de la Tombe-Issoire, qui ne cesse de se désertifier, manque d'équipements sociaux et culturels. On pourrait aussi créer ici un café associatif. Le pavillon troubadour pourrait accueillir une fondation reconnue d'utilité publique. Dans les années 90, l'immeuble sur rue était géré par Emmaüs, d'ailleurs l'abbé Pierre est venu nous soutenir en 2004. Dedans, il y a une vingtaine d'appartement qui pourraient être proposés à ceux qui en ont le plus besoin. Au lieu de cela, les pouvoirs publics veulent que se réalise une opération immobilière. Plutôt que des logements sociaux dans un environnement unique et historique, ces pouvoirs publics soutiennent le promoteur, pour qu'il puisse construire quelques immeubles de standing de plus... à 13 000 € le m². Quant à la carrière médiévale, elle est mitoyenne des Catacombes ; seule une grille les sépare. Ces Catacombes sont un musée qui attirent beaucoup de touristes. Mais, ces touristes visitent surtout des ossements et des galeries techniques du 19e siècle. Là on pourrait leur faire découvrir un paysage souterrain très différent et montrer comment Paris a été construit, par des hommes courageux qui extrayaient péniblement la pierre du sous-sol. Cette carrière médiévale exceptionnelle apporterait à la visite des catacombes une dimension toute autre. Ce site, que ce soit la ferme, les maisons de faubourg, le pavillon troubadour ou la carrière souterraine, est tout à fait restaurable. Encore faut-il ne pas tarder, car l’intérêt du promoteur est de laisser tout à l'abandon, dans l'espoir que le temps fasse son oeuvre et que l'ensemble tombe un jour en ruine. Va-t-on continuer à le laisser faire longtemps ? Depuis des années, il prend en otage la rue de la Tombe-Issoire, en laissant à l'abandon le site. La loi interdit pourtant aux propriétaires de laisser leur immeuble tomber en ruine, ils ont l'obligation légale de le maintenir en état. Pendant ce temps-là, on refoule des permanences, des familles aux revenus modestes, à la recherche d'un logement à Paris. PCF: En quoi consiste la menace actuelle ? Pouvez-vous nous expliquer l’histoire de la procédure en cours ?   TD: L'ancien propriétaire de ce lieu était l'abbé Keller, dont les anciens du quartier se souviennent bien. C'est lui qui a fait édifier la cité du Souvenir rue Saint-Yves (NDLR: face au local du PCF Paris 14). Avec sa fondation reconnue d'utilité publique, il logeait dans la ferme des familles aux faibles ressources. A la mort de l'abbé Keller, l'archevêché n'a pas respecté son testament qui obligeait pourtant à continuer cette oeuvre sociale. L'archevêché a accepté le legs, mais il omit de respecter la clause qui le grévait. A la place des hommes d'affaires ont préféré une juteuse opération financière. Ce testament nous l'avons en notre possession, nous sommes prêt à le publier. Depuis les années 90, un promoteur Jean Papahn, d'abord pour le compte du GFF, puis à présent pour celui de la Soferim, la société qu'il a lui-même fondé et qu'il dirige, tente d'y réaliser à tous prix une opération immobilière lourde. S'il réussissait dans cette entreprise, il ferait évidemment un gros bénéfice. Il est unique dans Paris qu'un promoteur, depuis près de 20 ans, n'arrive pas à ses fins. Lorsque la carrière a été protégée au titre des monuments historiques, le GFF, le premier promoteur a être intervenu, a fait annuler la vente, en disant qu'il n'était plus possible de construire, ce qui a permis à la Soferim de racheter tout le site une bouchée de pain ; aucun autre promoteur n'en voulait, sachant bien qu'il était devenu de fait inconstructible. La Soferim a alors obtenu une autorisation de travaux pour couler dans le monument historique les fondations en béton de ces immeubles neufs. Le collectif d'association que je préside a attaqué en justice cette étonnante autorisation et nous avons logiquement gagné. Bien sûr le promoteur a fait appel, mais, hélas pour lui, nous avons encore gagné une nouvelle fois. Il a été jusqu'au Conseil d'Etat qui nous a définitivement donné raison. Ne pouvant plus implanter ses fondations, il a alors très astucieusement déposé une demande qu'il a intitulée : « restauration du monument historique ». A la lecture du dossier on peut constater qu'il s'agissait toujours en réalité de réaliser les fondations de ses immeubles neufs. Cette pseudorestauration consistait notamment à combler de béton des pans entiers du monument historique. La Ville a donné son accord et le ministère de la Culture a autorisé ces travaux. Nous avons attaqué en référé cette autorisation et la juge du tribunal administratif nous a donné raison. Bien sûr le promoteur va continuer la procédure juridique encore des années. Nous ne comprenons pas, étant donné que nous avons déjà remporté une dizaine de procès sur ce dossier face au promoteur, pourquoi l'on continue à lui donner des autorisations qui sont systématiquement annulées par le tribunal. Le résultat de ce laxisme, sur le terrain, est que le site est gelée et qu'il se dégrade lentement. Alors que si on disait au promoteur : « une fois dans votre vie, vous n'allez pas pouvoir construire vos immeubles de standing, ce site va être restauré et va avoir une destination uniquement sociale et culturelle, pour l'ensemble des Parisiens », tout serait terminé. Ce serait choisir l'intérêt de tous, contre l'intérêt d'un seul... Ce promoteur n'est pas dans le besoin, il s'est enrichi en pratiquant la vente à la découpe dont il s'est fait une spécialité. Tous les contentieux que nous avons gagné montrent amplement que ce terrain est devenu de fait inconstructible. C'est logique puisque tout le sol et tout le sous-sol de la parcelle sont classés monument historique. Il n'y a donc pas un pouce de terrain pour y implanter des fondations. Or, il est interdit de construire des immeubles sans fondation. C'est aussi simple que cela et c'est pour cela que depuis vingt ans aucune opération immobilière ne voit le jour sur ce site. Il est donc inconsidéré de la part de la mairie, d'avoir octroyé en mai dernier trois permis de démolir au promoteur. Cela va créer un terrain vague en plein Paris, qui va devenir un champ d'action pour les dealers et qui à terme terminera en un jardin public. Franchement, il y a mieux à faire... PCF: Quelles sont les prochaines étapes de votre mobilisation ?   TD: Nous demandons aux pouvoirs publics de tirer les conséquences de ces vingt dernières années et de prendre enfin leur responsabilité. Il faut notamment que la Ville retire ces trois permis de démolir. Ce terrain est de fait inconstructible à cause du classement du sol, alors il faut immédiatement le préserver et le restaurer. D'ailleurs notre ancien maire, Pierre Castagnou, s'y était engagé. Il avait bien compris que le promoteur ne pourrait pas construire, aussi s'était-il engagé, dans son programme des dernières municipales, à ce que la Ville acquière tout le site et le restaure immédiatement. Au lieu de cela, aujourd'hui, les pouvoirs publics préfèrent encore attendre, dans l'espoir vain qu'un jour le promoteur réussisse son opération financière, faisant fi du dernier témoignage du passé agricole et carrier de notre ville.   PCF: Si des citoyens du 14ème désirent s’engager pour défendre la ferme et les carrières, comment peuvent-ils faire?   TD: Ils peuvent suivre la lutte du collectif d'associations sur un blog : http://collectifportmahon.blogspirit.com et, s'ils le désirent, ils peuvent nous rejoindre. L'adhésion au Collectif de Port-Mahon et de la ferme de Montsouris est de 10 €. PCF: Avez-vous quelque chose à ajouter ?   TD: Je crois, et c'est ce qui me motive depuis le début, que ce combat est important pour notre démocratie. Habituellement et régulièrement, les associations et les simples citoyens perdent face aux puissants. Le pot de fer brise le pot de terre. Là nous avons tenu bon, à chaque fois et sans argent. C'est un message d'espoir pour tous les citoyens : même si vous avez les pouvoirs publics, l'église et un gros promoteur contre vous, vous pouvez vous battre et préserver les éléments de votre quartier qui le méritent à vos yeux. Vous pouvez demander que ce lieu, que vous habitez, ait une fonction sociale et culturelle et non pas qu'il serve à enrichir un peu plus une seule et unique personne...

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.

 

Sauvons la dernière ferme de Paris - Rencontre avec Thomas Dufresne

Accéder au site du collectif

http://collectifportmahon.blogspirit.com/

le 01 September 2011

A voir aussi



.